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AMERICA, revue de politique américaine.

Directeur de revue

Lors de son dernier meeting électoral qui s’est tenu à Philadelphie, l’ancien avocat a renouvelé son intention de briguer la Maison Blanche. Seulement cette fois il taille la route seul, en tant que candidat indépendant, c’est-à-dire sans parti politique.

Avantages et écueils d’une candidature indépendante

Pourquoi cette décision ? RFK Jr cite l’absence de débat télévisé organisé par le Parti démocrate ainsi que le nouveau calendrier des primaires, changé unilatéralement par la DNC (pour Democratic National Committee, les instances décisionnaires du parti) et dont l’agencement profiterait à Joe Biden. Voilà pour les motifs. Plus concrètement, l’avantage immédiat pour Kennedy est de ne pas avoir à gagner la primaire démocrate et de pouvoir prolonger sa candidature jusqu’au bout en rivalisant avec les deux candidats principaux : Biden et Trump.

Dans ce cas, pourquoi tous les candidats n’optent-ils pas pour cette option a priori assez tentante qui leur permet d’être sûrs de figurer sur les bulletins de vote en novembre 2024 (à la condition de remplir les critères fixés dans chacun des cinquante États) ? Premièrement, ils ne jouissent pas forcément d’une popularité suffisante ou ne disposent pas du financement requis pour se lancer en solo. Deuxièmement, mis à part George Washington, l’histoire politique des États-Unis nous apprend que les candidats indépendants ne gagnent jamais. Troisièmement, les prétendants à la Maison Blanche ne veulent pas causer du tort au candidat qui sera officiellement investi par leur parti, ce qui apparemment ne gène pas le moins du monde Robert Kennedy Jr.

« La dernière chose que Joe Biden voulait »

Voilà tout l’enjeu : aux yeux de la campagne Biden, tant que RFK Jr restait en lice pour remporter l’élection primaire du Parti démocrate, le danger était circonscrit. La candidature explosive du rival complotiste aurait pris fin cet été. Le trublion à la voix rocailleuse aurait serré la main du président-candidat lors de la convention cet été en échange de certaines garanties concernant l’immigration illégale, éventuellement inscrites dans le programme politique (platform en anglais) portés par le ticket Biden-Harris. L’encombrant héritier de la dynastie Kennedy ne serrait plus alors qu’un problème sur Internet.

Mais avec une élection triangulaire, tout change. Avec le fils de Bobby Kennedy présent sur les bulletins de vote, arrive le risque d’une dispersion des voix progressistes. En se maintenant dans la course jusqu’au bout, Kennedy pourrait faire perdre tellement de voix à Joe Biden avec sa candidature concurrente qu’il donnerait à Donald Trump les clés de Pennsylvania Avenue sur un plateau d’argent. À ce stade, ce scenario reste bien entendu hypothétique, l’incidence réelle de ce retournement électoral (le fameux game changer) reste sujet à débat, mais il est aussi tout à fait plausible. « RFK Jr est le candidat indépendant le plus influent depuis deux décennies », rapporte POLITICO. Le journal spécialisé de préciser : « Ce cas de figure est la dernière chose que Joe Biden voulait ». Ajoutons que Biden est mis en difficulté sur deux flancs : sur sa droite par Kennedy mais aussi sur sa gauche par Cornel West qui a quitté le Green Party pour devenir candidat indépendant.

Une candidature explosive ou un lent naufrage ?

Ce changement de statut, de « contender » démocrate à candidat indépendant, pourrait effectivement être le véritable game changer, le grand tournant, de la campagne présidentielle américaine. Selon le dernier sondage publié par le partenariat Reuters/Ipsos, un électeur américain sur sept pourrait voter pour RFK Jr. Avec une élection à trois, toutes les cartes seraient rebattues. Voilà de quoi inquiéter les deux grands candidats à l’affiche. Si ces données se confirment au cours de l’année 2024, il est certain que l’on se dirige vers une réelle élection triangulaire.

Mais tous les experts ne prennent pas la menace Kennedy au sérieux. La dernière fois que l’héritier de la dynastie a fait parler de lui, c’était pour ses propos racistes et antisémites concernant les origines du Covid 19. Sa campagne était en train de patiner. Nombreux sont les commentateurs qui évoquent la possibilité d’une chute irrémédiable dans les intentions de vote dans les mois à venir. Kennedy n’obtiendrait jamais les 15% nécessaires pour participer aux débats présidentiels. Pour les sceptiques, il serait erroné de penser que la popularité actuelle de RFK Jr dans les sondages se traduise telle quelle dans les urnes le jour de l’élection. Elle ne serait qu’une tendance, une indication temporaire du manque d’enthousiasme pour le duel électoral annoncé entre Biden et Trump. Selon cette hypothèse, le vote utile aidant, les pro-Kennedy finiront par se ranger dans l’un ou l’autre camp.

Par ailleurs, si Kennedy espérait obtenir l’intérêt constant des médias pour sa personne grâce à sa nouvelle campagne insurrectionnelle, il n’est pas certain de rester en permanence dans le viseur des médias jusqu’au soir de l’élection. La folie meurtrière du Hamas a complètement occulté son premier meeting hors cadre démocrate. En outre, il faut le dire, malgré ses propos sulfureux, RFK est moins un aimant à microphones que Donald Trump. Loin d’être un game changer, sa dernière saillie politique serait un épiphénomène de la présidentielle. Au mieux, Robert Kennedy Jr rejoindrait John B. Anderson dans les annales de l’histoire politique américaine (explication plus bas).

Une triangulaire, est-ce vraiment une élection à trois ?

La langue anglaise n’a pas de terme spécifique pour évoquer une élection à trois. D’ailleurs, en réalité, elle se joue à 2 + 1. Les médias américains évoquent alors la possibilité d’un spoiler candidate ou de vote splitting lorsqu’un candidat indépendant ou appartenant à un petit parti risque de faire basculer l’élection, sans la gagner. Il n’y a pas d’étalon de mesure puisqu’un candidat indépendant ou appartenant à un petit parti peut dépasser le score de 5% le soir de l’élection et ne pas être gênant, comme John Anderson (6,6% du vote) lors du duel Carter (41%) -Reagan (50,7%) de 1980. Anderson est exactement le cas inverse de RFK Jr. Il concourrait dans la primaire du Parti républicain qu’il a ensuite quitté pour devenir candidat indépendant au risque d’entamer le réservoir de voix de Ronald Reagan. John Anderson était juste « le troisième choix » pour ceux qui en voulaient un. Et si Anderson a pris plus de voix à l’un ou l’autre, la victoire de Ronald Reagan était tellement nette que cela n’a eu aucune importance. John Anderson n’a remporté aucun État (et donc aucun Grand Électeur) mais il y a plus : Anderson n’a gagné dans aucune circonscription électorale. En ce qui concerne Robert Kennedy Junior, il pourrait juste augmenter le taux de participation sans prendre de voix à Joe Biden ou à Donald Trump, car, parmi ceux qui le plébiscitent, nombreux sont ceux qui rejettent le bipartisme et en conséquence sont n’ont pas voté en 2020.

Remember Ross Perot ? Petit coup d’œil dans le rétro

Mais Robert Kennedy Jr peut être bien plus gênant pour Joe Biden, bien plus que ce que fut John B. Anderson pour Ronald Reagan en 1980. Il pourrait maintenir sa cote de popularité initiale (14%) jusqu’au bout. Il serait loin d’être le premier. La désaffection des électeurs américains pour une offre électorale réduite à deux partis politiques ne date pas d’aujourd’hui.

L’exemple le plus récent d’une candidature indépendante d’envergure date de l’élection de 1992. Cette année-là, Ross Perot annonce son intention de jouer jeu égal avec le candidat démocrate Bill Clinton et le président en exercice George H. W. Bush. Sur CNN, au cours d’une discussion avec Larry King, le milliardaire texan demande à ses supporters de se rallier officiellement à son mouvement et de faire en sorte que son nom figure sur les bulletins de vote dans les 50 États et à Washington DC. Son programme : opposition à l’ALENA (déjà), une meilleure gestion de l’économie, une démocratie directe électronique, etc. Une très mauvaise nouvelle pour George Bush père, déjà affaibli par une primaire interne difficile marquée par l’opposition de Pat Buchanan, un franc-tireur ultra-conservateur aujourd’hui connu pour être un des précurseurs du trumpisme. La campagne de Perot connaît quelques déboires. Il se retire même de la présidentielle avant de revenir dans la course au mois d’octobre. La popularité du milliardaire est telle qu’il gagne sa place aux débats présidentiels aux côtés de Bush et Clinton. Le soir de l’élection, il récolte 18,9% des suffrages.

Certes, il est difficile d’affirmer que la candidature de Ross Perot a fait chuter le 41e président des Etats-Unis. Mais ce précédent récent reste tout de même riche en enseignements. George H. W. Bush a bel et bien perdu en 1992. Bush, comme Biden, était président depuis quatre ans et il n’a pas été réélu pour un second mandat. Comme pour Biden, les rivaux de Bush on profité de sa faiblesse apparente pour lancer des candidatures concurrentes à la fois dans son parti et en dehors de celui-ci.

À qui RFK Jr prendra-t-il des voix ? La question qui divise

Les sondages qui placent Kennedy en compétition directe avec Biden et Trump sont rares. Reuters/Ipsos lui donne 14%. RFK JR ne peut pas gagner mais il prendra des voix aux deux candidats principaux. Reste à savoir qui sera le plus impacté, Trump ou Biden ? Question subsidiaire : Kennedy est-il en mesure de faire basculer le résultat d’un État en particulier ?

Première hypothèse : RFK Jr est un Kennedy et un démocrate, il prendra des voix à Joe Biden. Mais RFK Jr est aussi un complotiste anti-vaccin obsédé par la sécurisation du mur frontalier avec le Mexique et la question migratoire, d’où l’évocation de plus en plus fréquente d’un second cas de figure : Kennedy pourrait en réalité prendre plus de voix à Donald Trump. Après tout, Kennedy est plus populaire chez les républicains. Deux électeurs de Kennedy sur trois opteraient même pour un vote Trump en second choix. Ce n’est pas un hasard. Le trouble-fête participera au prochain CPAC, la grand-messe annuelle de la droite américaine. Sa campagne est largement financée par American Values 2024, un super-PAC alimenté par des mécènes très conservateurs. Problème : pourquoi des supporters de Trump voteraient pour Kennedy si leurs programmes politiques se rejoignent ?

Un drôle de démocrate : retour sur une campagne atypique

Fin avril 2023, Robert Kennedy Jr annonce ses ambitions présidentielles, au sein du Parti démocrate, depuis son fief à Boston. À peine un mois plus tard, le fils de Robert Kennedy est donné à 20% d’intentions de vote dans un sondage commandé par CNN. C’est trois fois moins que Joe Biden, 60%. La campagne vient à peine de commencer mais ces chiffres surprenants ont de quoi inquiéter l’actuel locataire de la Maison Blanche.

On connaissait RFK comme anti-vaccin notoire, adepte des théories conspirationnistes les plus farfelues, la honte du Parti démocrate et de son illustre famille. Désormais RFK Jr devient un candidat à la Maison Blanche qui cartonne dans les sondages et c’est un gros caillou dans la chaussure du président américain candidat à sa propre succession. Autre nouveauté et de taille celle-ci : RFK jr adopte un discours sécuritaire alarmiste au sujet de la frontière avec le Mexique, un discours plus habituel dans les rangs républicains que dans la famille démocrate.

Un mois plus tard, le dernier héritier de la dynastie politique la plus célèbre au monde débarque en Arizona, à la frontière avec le Mexique. Il se filme en direct sur les réseaux sociaux… à deux heures du matin. Derrière lui, le mur frontalier et une file de migrants qui attendent d’être pris en charge par les services de l’immigration américains. Il veut rendre la frontière « imperméable ». La gauche américaine et Joe Biden n’ont jamais parlé de « frontières ouvertes » ? Peu importe. RFK Jr les accuse. Sans savoir, sans rien prouver. Comme Donald Trump, il ment. Sans gêne aucune. À l’inverse de Trump, toutefois, RFK jr tient à manifester de la compassion pour les migrants et reconnaît « une crise humanitaire », même si, à l’évidence, ce n’est pas le sentiment central qui anime ses convictions en matière de sécurité intérieure.

Un discours ferme sur la frontière peut-il être aussi populaire à gauche qu’à droite ? Le Parti démocrate s’est-il trouvé son propre Donald Trump ? Un démagogue progressiste ? Les questions apportées par ce cas de figure inattendu ne manquent pas. Le neveu de JFK amuse par ailleurs beaucoup la droite la plus conservatrice qui y voit l’occasion rêvée d’écorner autant que possible la nouvelle candidature de Joe Biden. Fox News a d’ailleurs consacré un documentaire au trublion démocrate.

Pour les insiders du parti de Franklin Delano Roosevelt, RFK Jr n’est pas un des leurs. « Ce n’est pas un démocrate », entend-on régulièrement. Sa campagne est « une anomalie ». C’est peut-être vrai mais tenir ce discours c’est aussi faire la sourde oreille. Avec 20% des intentions de vote parmi les électeurs démocrates, il faut se faire une raison : si ce n’est pas le nom Kennedy qui se suffirait magiquement à lui-même, si ce ne sont pas les théories du complot désuètes portant sur les effets d’un vaccin conçu pour un virus qui n’inquiète plus grand monde ou les questions environnementales nettement mieux représentées par le Green Party, c’est bien que la sécurisation de la frontière sud constitue une priorité pour un cinquième de l’électorat démocrate. Et s’ils plébiscitent un homme à la voix tellement cassée qu’il est à peine audible quand il s’adresse à eux, c’est que vraiment ils souhaitent se détourner de la candidature de Biden.

Que cherche vraiment RFK Jr ?

Sauf concours de circonstances exceptionnel, Kennedy Jr ne gagnera pas l’élection présidentielle de 2024. En fait, s’il arrivait deuxième, il s’agirait déjà d’un concours de circonstances exceptionnel. Qu’il devienne président tiendrait plutôt du miracle. Dans ce cas, il est bien entendu légitime de se demander ce que cherche réellement RFK Jr dans cette élection. Quand on connaît le sort des candidats indépendants (cités plus hauts) et l’obsession de RFK Jr pour la sécurisation de la frontière avec le Mexique, on peut légitimement se demander si son but n’est pas directement de faire gagner Donald Trump et, en passant, de se faire une bonne publicité pour lui-même.

Le but visé pourrait être le suivant : obtenir une victoire dans un ou plusieurs États, de façon à ce que ni Biden, ni Trump n’obtiennent la majorité des 538 Grands Électeurs. Si aucun ne parvient à rafler 270 Grands Électeurs, on arrive à une « Contingent Election », un scenario qui ne s’est pas produit depuis 1838. Que se passe-t-il dans ce cas de figure ? En pratique, le choix du président incombera alors aux délégations des 50 États à la Chambre des représentants. Or les démocrates sont en minorité sur ce terrain. Dans cette hypothèse, la présidence des États-Unis reviendra donc très probablement à Trump. On remarquera que le groupe No Labels est soupçonné de suivre le même stratagème depuis sa création.

Kennedy soutiendra-t-il l’ex-président à un moment donné de la campagne ? Vise-t-il une place en vue au sein d’un incertain prochain cabinet Trump ? Affaire à suivre.

Où RFK Jr peut-il se présenter ?

Une chose est claire : la question de l’accès aux bulletins de vote (ballot access) est le problème numéro 1 des petits partis et des candidats indépendants qui doivent se battre pour figurer sur les listes dans un maximum d’États. D’ailleurs, en général, qui dit candidat indépendant dit absence de parti politique mais dans l’objectif de figurer sur les bulletins de vote, Kennedy Jr se présente tout de même sous la forme d’un parti dans 6 États, généralement « We The People ». Selon Politico, la difficulté pour les candidats indépendants ce n’est pas de récolter des milliers signatures à travers tout le pays (environ 900 000), ni l’aspect financier (non négligeable) d’une telle entreprise, le problème majeur ce sont les recours déposés par les grands partis très heureux de leur mettre des bâtons dans les roues. Quoiqu’il en soit, la question du « ballot access » sera plus épineuse pour RFK Jr que pour le Parti libertarien et le Green Party qui ont vraisemblablement acquis une certaine expérience dans ce domaine depuis les années 1970.