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Photo de profil de LAURIC HENNETON

Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Droits photo : CBN

Revue AMERICA :
– Pat Robertson fonde CBN – Christian Broadcasting Network en 1960. Il est l’un des premiers télévangélistes, l’un des plus connu et surtout l’un des plus influents politiquement. Les télévangélistes sont-ils tous des chrétiens évangéliques ? L’essor du christianisme évangélique est-il indissociable de l’arrivée de la télévision et des mass media ?

Lauric Henneton :
– On peut dire que le premier télévangéliste est Fulton Sheen, un évêque catholique qui s’illustre d’abord à la radio avant de s’imposer sur le petit écran dans les années 1950. Mais statistiquement, l’immense majorité des télévangélistes américains sont des protestants évangéliques. Ce qui n’est pas surprenant puisque leur mission, en théorie, est de porter la bonne parole (l’évangile, littéralement), peu importe le moyen tant qu’ils parviennent à leur fin. Quand la radio explose dans les années 1920, les programmes religieux sont très nombreux, la télévision n’est qu’une mise à jour technologique, de même qu’Internet, qui permettent de toucher plus de monde, au-delà du territoire limité de la paroisse.

Revue AMERICA :
– En 1961, Robertson devient pasteur. Il fait partie de la Southern Baptist Convention. Il se dit aussi « chrétien charismatique ». Pouvez-vous expliquer son appartenance religieuse et ses croyances pour un public non averti ?

Lauric Henneton :
– Les charismatiques, comme les pentecôtistes aux États-Unis, ont reçu (ou prétendent avoir reçu) un don de Dieu, qui leur permet de « parler en langues » (la glossolalie), de soigner par imposition des mains, ou d’avoir des visions. Ce qui était aussi très répandu au début du XIXe siècle – et pas que chez les jeunes Catholiques qui voyaient la Vierge Marie. Le mormonisme naît dans ces conditions, ainsi que nombre de groupuscules éphémères.

Revue AMERICA :
Pat Robertson a déclaré à plusieurs reprises qu’il communiquait avec Dieu. Le Tout-puissant lui aurait notamment enjoint de lancer CBN (Christian Broadcasting Network) et de se présenter à la course à la Maison Blanche. Vu d’Europe, affirmer « parler à Dieu » cela laisse habituellement songeur. Aux États-Unis, est-ce fréquent pour un chrétien évangélique de tenir ce genre de propos ?

Lauric Henneton :
– Tout croyant parle à son Dieu par la prière, mais il est plus rare que l’intéressé réponde. En tout cas, certains croient obtenir des réponses, plus ou moins claires. Par des rêves, des visions, ou des signes. Les Puritains, émigrés d’Angleterre au XVIIe siècle, sont très attentifs aux signes de Dieu pour prendre des décisions. Il leur arrive d’ouvrir leur Bible au hasard et de déterminer si le passage trouvé leur donne une indication. Un des traits communs aux différentes religions est une forme de soumission absolue, on s’en remet à son Dieu, on se place dans ses mains, et advienne que pourra. Il n’est donc pas extravagant que des croyants très dévots espèrent des réponses à leurs questions et ne conçoivent pas de ne pas en recevoir donc ils en reçoivent – ou ils le pensent. Il est difficile ensuite de démêler ce qui relève de la sincérité, de l’autopersuasion, du conditionnement et de l’affabulation, mais dans un schéma où il est de bon ton, voire il est attendu, que telle décision majeure soit attribuée au conseil de Dieu. Se présenter à la magistrature suprême pourrait être pris comme une forme d’ambition démesurée, mais si c’est Dieu qui est à la manœuvre et que le croyant n’est que l’instrument de la volonté divine, l’ambition disparaît et devient de l’humble dévotion.

Revue AMERICA :
En 1976, Pat Robertson vote pour Jimmy Carter. Pour la première fois de son histoire, le public américain découvre un président qui se dit « born again ». Les chrétiens évangéliques font la Une des magazines. Bien que personnellement opposé à l’IVG, Carter ne propose pas de revenir sur « Roe ». La décision de la Cour suprême tombe en janvier 1973. Les évangéliques ne sont donc pas partis en guerre contre l’avortement tout de suite ?

Lauric Henneton :
– L’élection de Jimmy Carter est en effet une première et c’est vraiment le moment où les évangéliques arrivent sur les radars médiatiques. Depuis la fin des années 1920 et quelques défaites symboliques (la fin de la Prohibition en 1933 par exemple, le Procès Scopes, ou Procès du Singe, en 1925), les fondamentalistes, qui étaient des traditionalistes, pas forcément ce que le terme « fondamentalistes » évoque aujourd’hui, se replient sur eux-mêmes et délaissent l’arène politique. En 1973, ce sont les catholiques qui sont les premiers à s’opposer à l’arrêt Roe v. Wade, qui retire aux États fédérés le droit de restreindre l’accès à l’avortement. Les fondamentalistes protestants, désormais appelés évangéliques, sortent du bois pour se réjouir de l’élection d’un des leurs en la personne de Jimmy Carter, mais ils déchantent rapidement. Certes, sur le papier, c’est un Démocrate du Sud et un évangélique, mais il n’a rien du ségrégationniste que « Démocrate du Sud » peut laisser imaginer. Par ailleurs, il accepte l’arrêt de la Cour suprême comme ayant force de loi, ce qui est normal. Pour les évangéliques et les catholiques conservateurs, la coupe est pleine. Déjà, en 1962, la Cour suprême avait interdit la prière à l’école, maintenant elle sanctuarise le droit à l’avortement, mais la goutte d’eau bénite qui fait déborder le calice,  c’est quand l’administration Carter veut supprimer l’exemption fiscale des écoles confessionnelles. Leur fréquentation et leur nombre avaient explosé suite à la politique de « busing », par laquelle les enfants blancs étaient scolarisés dans des écoles éloignées de leur domicile pour favoriser la mixité sociale et rompre les logiques de ghetto. Sauf si les enfants étaient scolarisé dans le privé confessionnel – généralement catholique. La fronde anti-Carter ne repose pas que sur l’opposition à l’avortement, ou au droit à l’avortement, mais à des questions d’exemption fiscale. L’union des catholiques conservateurs et des évangéliques, à laquelle s’ajoutent les mormons, voici créée la religious right.

Revue AMERICA :
Après son échec électoral, Paterson transforme sa campagne moribonde en véritable mouvement politique. Il fonde la Christian Coalition. Cette organisation a-t-elle été aussi importante pour la droite chrétienne que la Moral Majority de Jerry Falwell, lancée dix ans plus tôt ?

Lauric Henneton :
– La Moral Majority de Jerry Falwell avait pour objectif d’obtenir de l’administration Reagan le rétablissement de la prière à l’école et l’abrogation de l’arrêt Roe v Wade, et dans un cas comme dans l’autre, ils n’ont rien obtenu. La Christian Coalition reprend le flambeau, elle repose également sur des listings et des techniques de micro-ciblage d’électeurs de plus en plus sophistiquées, qui bénéficient aux candidats républicains, à tous les niveaux, mais pas au niveau supérieur (la présidence) puisque c’est Bill Clinton qui est élu en 1992 et réélu en 1996. Pas vraiment le meilleur représentant des « valeurs familiales », avec son passif extraconjugal – et pourtant, c’est lui aussi un baptiste du Sud qui connaît très bien sa Bible. La Christian Coalition n’est pas la seule organisation à se développer à droite, c’est tout une galaxie évangélique conservatrice qui se crée derrière le Parti républicain, avec des réseaux et une organisation absolument redoutables, assortis d’une capacité de mobilisation remarquables. Ce qui explique pourquoi, encore aujourd’hui, et malgré une tendance à la sécularisation, la droite religieuse conserve une influence dont on aurait tort de parler au passé.

Revue AMERICA :
– « Télévangéliste », c’est un mot qui semble daté. On pense aux années soixante-dix, aux jet-privés et à la chanson de Phil Collins « Jesus, he knows me » qui les tourne en ridicule. Il y a eu aussi le scandale du couple Bakker. Les télévangélistes sont encore là pourtant. Ils ne connaissent pas la crise ?

Lauric Henneton :
– C’est plutôt les années 1980, les années fric. Ce sont des entrepreneurs d’un type particulier. Leur succès repose sur leur capacité à lever des fonds, donc à persuader leurs ouailles de la nécessité de leur donner de l’argent. Certains y voient une forme d’hypocrisie, de duplicité, voire d’arnaque, une impression qui est renforcée par quelques scandales de premier plan, d’ordre financier d’une part, d’ordre sexuel d’autre part. Outre les époux Bakker il faut mentionner Jimmy Swaggart, le cousin de Jerry Lee Lewis, un des pères fondateurs du rock’n’roll, qui marchait également sur le fil qui séparait les excès en tout genre d’une foi indéniable. Pour Phil Collins comme pour de nombreux groupes de metal (Iron Maiden, Metallica, Slayer, Suicidal Tendencies pour n’en citer que quelques uns) la manipulation des fidèles à des fins d’enrichissement, sur fond d’hypocrisie, est devenue une thématique de prédilection. Malgré tout, il en existe toujours, qui sont suivis par des millions de fidèles grâce à Internet et qui ne vivent pas franchement dans le dénuement le plus crasseux. Certains ont même affirmé il y a quelques années que s’ils sollicitaient les dons pour s’acheter un nouveau jet privé, c’était simplement parce que c’était la volonté de Dieu. CQFD.

Revue AMERICA :
Pat Robertson est aussi connu pour ses propos provocateurs. Peut-on dire que, d’une certaine manière, il a ouvert la voie à des talk shows ultra-conservateurs comme ceux de Rush Limbaugh, qui a fait des propos outranciers sa marque de fabrique ?

Lauric Henneton :
– Ces propos ne sont provocateurs que pour l’autre côté. Pour Robertson, Falwell, Limbaugh et leurs fidèles, c’est le bon sens le plus élémentaire. Ils endossent la fonction du prophète, qui rappelle le peuple de Dieu – le nouvel Israël – à ses promesses et à ses faiblesses. Dans la Bible, le prophète est le messager de la colère de Dieu, qui souligne les iniquités du peuple et l’appel à se repentir, à se tourner à nouveau vers Dieu. Robertson & co n’ont rien inventé à cet égard. Ils identifient ce qui, à leurs yeux et à la lumière de la Bible (en tout cas de leur interprétation de la Bible) constitue des facteurs de déclin moral. L’homosexualité (entre hommes) est clairement identifiée comme une « abomination » dans la Bible depuis plus de 2000 ans : ils ne reprennent qu’une tradition bien établie. La tolérance des sociétés occidentales envers l’homosexualité est un phénomène extrêmement récent. Ensuite, faire le lien entre ces « iniquités » et les catastrophes est un exercice également très ancien. Les prophètes bibliques comme les pasteurs puritains ne faisaient pas autre chose. Si nous trouvons cela provocateur, c’est que nos sociétés – en tout cas une partie – a considérablement évolué en très peu de temps. Et le conservatisme religieux n’est qu’une réaction à cette évolution, qu’il voit comme une forme de déclin moral. Ce qui n’est pas totalement nouveau non plus.

Revue AMERICA :
Quelle est l’évolution du paysage religieux américain ces dernières années ? On parle beaucoup des « nones ». Qui sont-ils ? Les Américains fuient-ils l’entrée de la politique dans les églises qui s’est opérée depuis les années 80 ?

Lauric Henneton :
– Les « nones » sont les Américains qui répondent « aucune » (none en anglais) quand on leur demande à quelle Eglise ou dénomination religieuse ils appartiennent. Ils n’ont en commun que leur non-affiliation. Ils ne sont ni catholiques, ni juifs, ni méthodistes, ni baptistes etc. Mais ils ne sont pas pour autant tous athées. Certains le sont, d’autres sont agnostiques – une forme nettement moins affirmative, disons, et d’autres encore se disent « rien en particulier » mais peuvent être croyants voire pratiquants. On trouve parmi ces derniers des gens qui considèrent que leur foi est trop importante pour être laissée aux pasteurs, ou aux évêques, pour différentes raisons : les scandales de pédophilie, une politisation jugée excessive ou indue. Mais au fond, c’est une désaffection pour les institutions à placer sur le même plan que la méfiance envers les partis politiques ou les syndicats. Et il n’est pas surprenant de trouver les jeunes dans ces différentes catégories. On trouve, bien sûr, de jeunes évangéliques républicains, et des jeunes femmes au premier plan des manifestations anti-avortement, mais globalement, la désaffiliation, pour ne pas dire la sécularisation, est une affaire de générations. Plus on est jeune, moins on est susceptible d’appartenir à une Eglise. Et effectivement, l’essor de ce mouvement commence en réaction à la politisation des évangéliques dans les années 1980-1990, donc à l’œuvre de Pat Robertson et ses collègues. Les « nones » des années 1990 ont depuis des enfants, qui sont élevés en dehors d’une tradition religieuse, ce qui a un effet boule de neige. Le remplacement générationnel fait le reste : environ 40% des 18-29 ans (il y a quelques années déjà) se disent « none », et rien ne suggère que cette tendance va s’inverser. C’est – de loin – la première catégorie dans les premières tranches d’âge chez les adultes. Mais ils votent peu, et peinent à peser sur les scrutins, alors qu’en face, les évangéliques font un travail de mobilisation d’une efficacité redoutable, que j’évoquais précédemment. Ce qui permet ce que j’appelle la « résilience évangélique » dans les urnes et, par conséquent, offre encore un avantage aux Républicains en dépit des évolutions démographiques qui ne sont pas à leur avantage : chaque année, les effectifs des évangéliques diminuent et leur part dans la population également. A terme, les « nones », largement pro-démocrates, seront largement majoritaires – à condition de se déplacer aux urnes…

Revue AMERICA :
Les chrétiens évangéliques soutiendront-ils encore Trump en 2024 ?

Lauric Henneton :
– Bien sûr, mais la question fondamentale est plutôt de savoir si les différentes affaires auxquelles Trump est mêlé entraîneront une déperdition, même minime, qui pourrait être fatale aux Républicains. L’ordre de grandeur classique est 80% du vote évangélique pour le candidat républicain en 20% pour le Démocrate. Au-dessus, c’est très bien, en deçà, c’est potentiellement problématique. A 70% de soutien des évangéliques pour un Républicain, même si le chiffre peut sembler considérable, on est à un stade assez catastrophique et probablement synonyme de défaite. Depuis 2016, on se demande comment les évangéliques peuvent soutenir un personnage comme Trump, mais ils font la part des choses et y voient non pas une fin mais un moyen : il leur a permis d’avoir une Cour suprême à majorité très conservatrice, qui – elle – est revenue sur le droit à l’avortement. Alors Trump est ce qu’il est, disons, mais il a accompli bien davantage que Reagan en deux mandats, de leur point de vue. A quoi s’ajoute une rhétorique de résistance au déclin moral qui est à leurs yeux une priorité qui dépasse les questions de personnes. Oui, Trump n’a pas le profil le plus attendu d’un messager de Dieu, mais les évangéliques conservateurs entendent son message et ils y trouvent leur compte. D’ailleurs, quand on parle d’évangéliques, il faut faire attention : il n’y a pas de carte du parti, c’est une appellation purement déclarative. On sait désormais depuis la thèse de Michele Margolis, publiée en 2019, From Politics to the Pews, que ce ne sont pas les évangéliques qui sont devenus conservateurs, mais plus des conservateurs qui se déclarent évangéliques. Et qui ne sont pas forcément très pratiquants, malgré ce que l’appellation pourrait laisser penser. Le fond politique et culturel est donc conservateur et il se traduit par un mouvement vers la religion, même si tout n’est pas univoque.

Revue AMERICA :
On imagine mal la droite évangélique rentrer dans le rang. Quelle est sa prochaine cible ? Le mariage des personnes de même sexe ?

Lauric Henneton :
– Les questions sociétales comme l’avortement, le mariage des personnes de même sexe ou les controverses autour de l’identité sexuelle (les droits des transgenres) ne doivent pas être prises isolément mais en tant que « croisades symboliques », pour reprendre le concept particulièrement éclairant du sociologue Joseph Gusfield, à propos de la prohibition. Il s’agit pour un groupe qui s’estime normatif mais en déclin de reprendre la main symboliquement. Au début du XXe siècle, l’Amérique dite WASP se voyait noyée par une immigration massive d’Europe du Sud et de l’Est, non anglosaxonne, non protestante et pas aussi blanche que les Scandinaves, disons. La Prohibition était une façon de rappeler qui édictait les normes dans le pays. Le message étant: « certes, vous avez le nombre, mais c’est encore nous qui disons et faisons le droit, les règles. » Avec l’avortement, d’abord, puis d’autres sujets qui étaient impensables dans les années 1970-80, la démarche est la même: nous autres chrétiens conservateurs voyons nos normes – qui étaient les normes nationales dans les années 1950 – ringardisées, eh bien nous allons les imposer par le haut, par le Congrès, pour enrayer le déclin culturel de l’Amérique. Rendre sa grandeur à l’Amérique, c’est en partie cela. C’est aussi réaffirmer la domination militaire, économique, commerciale – et Biden fait de l’America First aussi. America First, mais pas America Only. Donc « rendre sa grandeur morale à l’Amérique », c’est un slogan qui convient très bien à Pat Robertson, qui mettait sur le dos des « iniquités » de l’Amérique des tragédies comme le 11 Septembre ou Katrina, à la façon des pasteurs puritains. D’où l’importance symbolique considérable de l’arrêt Dobbs sur l’avortement en juin 2022. Mais, quand on est dans cet état d’esprit, on ne peut pas s’arrêter au milieu du gué et fermer les yeux sur d’autres « iniquités », ici liées par les questions d’orientation et d’identité sexuelle: l’hétéronormativité (le mariage ne se conçoit qu’entre un homme et une femme) et la binarité (on est/naît homme ou femme, point). Il est donc impensable pour les chrétiens conservateurs – et pas seulement les évangéliques – de ne pas s’attaquer à ce qu’ils considèrent comme des facteurs de déclin national de l’Amérique éternelle. Parallèlement, dans le Michigan, une ville de la banlieue de Détroit à majorité musulmane a récemment voté pour réduire la visibilité des symboles homosexuels dans leur ville (le drapeau arc-en-ciel). On en parle moins dans les médias occidentaux car ce ne sont pas les évangéliques donc on a peur d’avoir l’air de critiquer l’islam. Le monde est bien plus simple à appréhender quand les homophobes sont évangéliques. D’ailleurs, dans cette affaire, la droite chrétienne a soutenu les musulmans de Hamtramck, qui étaient bien embarrassés par ce soutien. Certaines affinités de circonstances peuvent surprendre, parfois.

Revue AMERICA :
L’évangile de la prospérité incarné par Paula White, et dans une certaine mesure, Donald Trump lui-même, refaçonne-t-il actuellement l’évangélisme conservateur de la même manière que le mouvement America First a pu phagocyter le Parti républicain ?

Lauric Henneton :
– Pas autant. L’évangile de la prospérité n’est pas nouveau, il a été très populaire dans les années 1920, notamment. Et les télévangélistes des années 1980 en sont une itération. Il y a donc une forme de continuité, même si l’évangélisme conservateur, pendant longtemps, était davantage une affaire de petites gens. Le vrai tournant au sein du Parti républicain, ou « trumpublicain », est bien davantage la conversion improbable au protectionnisme. La tendance « country club » du GOP ne sait plus où elle habite dans un parti néopopuliste porté par une base « working class » peu ou pas diplômée, même si cette évolution sociologique date des années Reagan, voire Nixon, quand les Blancs du Sud ont tourné le dos au Parti démocrate, qui était désormais acquis aux droits civiques. Mais à l’époque, en plein contexte de guerre froide, le libre échange et les institutions internationales à la main des Etats-Unis étaient incontournables, même chose dans les années 1990.

Revue AMERICA :
– Merci beaucoup pour cet éclairage. On rappelle que vous êtes l’auteur d’une Histoire religieuse des États-Unis parue chez Flammarion. Plus récemment, vous avez publié un Atlas historique des États-Unis aux Éditions Autrement.