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Docteur en civilisation étasunienne et agrégé d'anglais, Alexis Pichard est professeur en classes préparatoires aux grandes écoles. Il est également chercheur associé en politique et médias étasuniens au CREA de l'Université Paris Nanterre.

Université Paris Nanterre

Photo : Trump White House Archives

Article d’Alexis Pichard publié en septembre 2022.
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Docteur en civilisation étasunienne et professeur agrégé d’anglais en classes préparatoires, Alexis Pichard est chercheur associé à l’université Paris-Nanterre où il sonde les rapports entre médias et politique étasuniens. Spécialiste de la présidence Trump, il y a notamment consacré l’ouvrage Trump et les médias, l’illusion d’une guerre ? (VA éditions, 2020) et l’article « La ‘doctrine Trump’ à l’international : l’Amérique contre le reste du monde ? » paru fin 2021 dans la revue Politique américaine.
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Incontournable

L’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 aurait dû sceller le destin politique de Trump. C’était là le souhait des chefs de file des républicains au Congrès, Kevin McCarthy et Mitch McConnell, qui furent prompts à condamner publiquement les incitations à la violence prononcées par Trump le jour de la certification des résultats (1) . Pourtant, ces hostilités furent de courte durée car, sous la pression de leurs administrés, les deux hommes se virent contraints à revoir leurs positions. Fin janvier, McCarthy se rendit ainsi à Mar-a-Lago pour réaffirmer sa loyauté à l’endroit de Trump, niant au passage les propos qu’il avait tenus précédemment (2) . Les cadres du Parti républicain durent se résoudre à l’évidence : Trump n’était pas un phénomène passager, une anomalie qui leur avait néanmoins permis de nommer 3 juges à la Cour Suprême et 226 juges dans les cours d’appel fédérales, de quoi changer la face du système judiciaire pour longtemps (3) . En un mandat, il avait en réalité redéfini en profondeur l’éthos du parti, désormais perméable à l’influence des mouvements suprématistes blancs, des groupuscules d’extrême droite et des mouvances conspirationnistes. La disparition brutale des élus républicains traditionnels, respectueux des institutions et enclins à trouver un terrain d’entente avec leurs homologues démocrates, au profit d’élus radicaux comme Marjorie Taylor Greene ou Lauren Boebert, toutes deux affiliées à QAnon (4) , contribua à accélérer la mutation du Grand Old Party (GOP) en un parti d’extrême droite, antirépublicain, foulant au pied la démocratie américaine, ses usages et ses règles.

Bien qu’en retrait de la scène politique, Trump a joué le rôle de faiseur de rois durant la campagne pour les élections de mi-mandat. L’octroi de son soutien à des candidats s’est révélé décisif dans un certain nombre de primaires républicaines, preuve s’il en est du poids de ses fidèles, les électeurs « MAGA » (Make America Great Again), au sein du GOP actuellement. Trump a ainsi adoubé près de 200 candidats, qui ont remporté l’investiture républicaine dans la grande majorité des cas. Ce succès éclatant doit néanmoins être relativisé : près de 25 % des candidats soutenus par l’ancien président n’avaient pas de rivaux, et ils étaient, pour la plupart, des élus sortants qui avaient donc fait leurs preuves (5) . Des valeurs sûres, en somme. Les candidats soutenus par Trump ont pour point commun d’adhérer à des degrés différents aux thèses moult fois infirmées qui voudraient que l’élection de 2020 ait été le lieu d’une fraude électorale massive en faveur de Joe Biden. En conséquence de quoi, certains d’entre eux, comme Ted Budd (Caroline du Nord), Blake Masters (Arizona) ou encore J.D. Vance (Ohio) refusent de s’engager à accepter les résultats des élections de mi-mandat, s’ils les donnent perdants. La souscription à ces mensonges conspirationnistes fut la condition sine qua none à l’adoubement de Trump, énième signe que ce dernier cherche à maintenir le Parti républicain en orbite autour de sa personne et de son narratif contrefactuel. Trump a ainsi instrumentalisé les primaires afin de purger le Parti républicain de ses éléments jugés hostiles, qu’il a nommés « Republicans In Name Only » (RINOs), soit les républicains de nom, et non de conviction. Cette étiquette acronymique ostracisante a principalement été appliquée à la poignée de parlementaires ayant voté en faveur de sa destitution a posteriori de l’insurrection du 6 janvier. Sur les dix sénateurs qui votèrent sa mise en destitution, quatre ne briguèrent pas de nouveau mandat, quatre autres furent battus par les candidats soutenus par Trump, parmi lesquels la cible expiatoire Liz Cheney, tandis que les deux derniers parvinrent à décrocher l’investiture républicaine.

Une interrogation subsiste : cette vague de candidats trumpistes parviendra-t-elle à faire basculer le Congrès aux élections de mi-mandat ? Traditionnellement, cette échéance est défavorable au parti présidentiel, ce qu’ont confirmé les sondages jusqu’en août dernier, tous annonçant un raz-de-marée républicain à la Chambre des représentants et au Sénat. Néanmoins, parce que Trump a personnalisé ce scrutin en adoubant nombre de candidats républicains, il existe un risque que cette l’étiquette pénalise les candidats concernés. D’abord, l’ancien président est impopulaire chez les électeurs indépendants, sans lesquels les candidats républicains ne peuvent espérer l’emporter (6) . Dans certains États clés au vote indécis (purple states), les positions radicales des candidats qu’il soutient ont tendance à aliéner des électeurs modérés plus inquiétés par les répercussions de l’inflation sur leur quotidien que par les prétendues irrégularités entourant l’élection présidentielle de 2020. Il est alors intéressant d’observer la manière dont certains candidats trumpistes tentent de s’affranchir partiellement de cette étiquette une fois l’investiture républicaine remportée dans l’espoir de fédérer au-delà des seuls partisans de l’ancien président. C’est notamment le cas de Don Bolduc, candidat à la sénatoriale du New Hampshire, qui déclara que l’élection de 2020 n’avait pas été « volée » deux jours après sa victoire à la primaire du parti. Il avait affirmé le contraire tout au long de sa campagne (7). Ensuite, l’image de Trump a été abîmée par les affaires dans lesquelles il est enlisé, en particulier l’enquête sur sa responsabilité dans l’insurrection du 6 janvier et celle sur les documents classés confidentiels retrouvés à Mar-a-Lago par le FBI en août dernier. Enfin, il pâtit du retour en force du président Biden qui, au cours de l’été, a engrangé d’importants succès législatifs (promulgation du CHIPS and Science Act et de l’Inflation Reduction Act, deux textes de loi qui ont capté le vote d’élus républicains au Congrès) et est parvenu à freiner l’inflation, avec pour corollaire un net regain de popularité auprès des Américains après un inquiétant passage à vide. De plus, la décision récente de la Cour Suprême d’abroger le droit à l’avortement et la possible remise en question du mariage pour tous jouent en faveur des démocrates, qui ont su en faire des armes politiques afin de mobiliser les électeurs progressistes et modérés.

L’horizon d’une victoire écrasante des républicains aux élections de mi-mandat semble s’être assombri. Les dernières prédictions donnent un Congrès divisé : les républicains devraient récupérer la Chambre des représentants mais avec une avance bien plus fine que prévue, tandis que les démocrates parviendraient, eux, à conserver le Sénat. Un résultat insatisfaisant aux yeux de Mitch McConnell qui a imputé ce revers à venir à « la qualité des candidats », visant en creux ceux qui ont été adoubés par Trump. Ce dernier n’a pas tardé à réagir en publiant un communiqué dans lequel il a qualifié McConnell de « pantin des démocrates » et a appelé à son remplacement immédiat en tant que chef des Sénateurs républicains (8) . Quoi qu’il en soit, les résultats des élections de mi-mandat seront déterminants pour l’avenir du GOP et de Trump. La possible débâcle des candidats soutenus par ce dernier pourrait provoquer des bouleversements en interne et libérer les voix dissidentes jusqu’ici repoussées à la marge ou tout simplement réduites au silence. Cela aurait pour effet de fragiliser l’autorité exercée par Trump sur le parti et motiver les jeunes loups en embuscade à le pousser vers la sortie afin de réaliser leur propre destin présidentiel.

La menace DeSantis

Parmi ces jeunes loups se trouve le politicien Ron DeSantis, qui a accru sa popularité auprès des électeurs conservateurs en s’érigeant en pourfendeur de ce qu’il qualifie d’« agenda WOKE », autrement dit la lutte contre les discriminations raciales, genrées et sexuelles. Ancien élu de la droite radicale au Congrès, DeSantis a opéré sa mue trumpiste durant la course au poste de gouverneur de Floride en 2018. À l’origine, il n’était pas le favori de l’establishment républicain, qui lui préférait le plus populaire Adam Putnam, mais son adoubement par Trump lui donna une légitimité indiscutable et lui permit de remporter le scrutin dans un État acquis aux républicains depuis la fin des années 1990. Depuis sa prise de poste en 2019, DeSantis s’est affairé à être un acteur majeur de la révolution réactionnaire menée par Trump. Il en a épousé la ligne populiste, raciste et LGBTphobe qui infuse de manière patente la politique qu’il a mise en place jusqu’ici. Lors du seul printemps 2022, le gouverneur républicain s’est illustré en faisant adopter quatre lois très controversées :
— La House Bill 1467 permet aux parents de s’immiscer dans les écoles afin de participer activement à la sélection et le bannissement des livres et des supports d’enseignement ;
— La House Bill 7 prohibe l’apprentissage de la théorie critique de la race, qui vise selon DeSantis à culpabiliser et stigmatiser les enfants blancs ;
— La House Bill 5 réduit le délai légal pour avorter de 24 à 15 semaines ;
— La House Bill 1557, rebaptisée Don’t Say Gay par ses opposants, interdit l’évocation de l’orientation sexuelle jusqu’en CE2.

L’exploitation politique des guerres culturelles, moteur du logiciel trumpiste, a permis à DeSantis de s’imposer comme l’une des personnalités préférées des conservateurs. À la dernière Conservative Political Action Conference (CPAC), il est arrivé en seconde position, derrière Trump, au rang des favoris pour représenter le parti à la prochaine présidentielle. Il représente aujourd’hui une alternative viable à l’ancien locataire de la Maison Blanche : 65 % des présents à la CPAC ont déclaré qu’ils soutiendraient DeSantis si Trump choisissait de ne pas briguer un nouveau mandat.

Les ambitions présidentielles du 46 e gouverneur de Floride ne laissent planer aucun doute. Néanmoins, pour espérer pouvoir partir à la conquête de la Maison Blanche, ce dernier doit nécessairement s’adonner à un jeu d’équilibriste consistant à s’émanciper de l’influence incompressible de Trump tout en réaffirmant son engagement à réaliser le projet qu’il incarne.
Par conséquent, tout en déroulant une politique ancrée dans le socle idéologique trumpiste, DeSantis s’applique depuis la dernière présidentielle à prendre ses distances avec celui qui apparaît désormais comme un rival politiquement affaibli par l’enfilade des scandales et des affaires. En plus d’avoir immédiatement condamné l’assaut sur le Capitole, DeSantis s’est toujours refusé à relayer les accusations de fraudes électorales proférées par Trump avant et après l’élection de 2020, et il a également critiqué de manière détournée la gestion du Covid par le président républicain (9). Pour autant, cette ligne de crête s’avère périlleuse à tenir tant le désir d’émancipation de DeSantis semble incompatible avec l’absolue loyauté requise par Trump et ses partisans. Pour ne s’aliéner aucun électeur républicain, DeSantis rentre dans le rang et démontre sa loyauté dès lors que cela se révèle nécessaire : il vilipende la commission parlementaire du 6 janvier, étrille le gouvernement lorsque la propriété de Trump à Mar-a-Lago est perquisitionnée par le FBI, et, en cette fin d’année, il fait la tournée des États pour soutenir les candidats trumpistes aux élections des gouverneurs à venir (10). L’objectif de DeSantis : se dégager de la férule de Trump sans passer pour un traitre.

Ce calcul politique n’a pas échappé à l’ancien président, dont on sait qu’il sera une nouvelle fois candidat en 2024. S’il est moins populaire que lui, DeSantis jouit néanmoins d’une solide électabilité : il n’a que 44 ans (contre 76 pour Trump) et incarne donc le renouvellement du Parti républicain, il a suivi le cursus honorum pour accéder à la fonction suprême (élu au Congrès puis gouverneur), et, surtout, la politique mise en place en Floride sous sa gouvernance dénote son attachement à concrétiser le projet trumpiste. En outre, DeSantis pourrait réaliser deux mandats consécutifs en cas de victoire en 2024 quand Trump ne pourrait plus en faire qu’un seul, ce qui poserait la question de son remplacement dès 2028. Ajoutons à cela qu’il bénéficie d’une exposition considérable dans les médias conservateurs, qui ne cessent désormais de louer ses qualités de politicien aguerri, quitte à reléguer Trump : « Je soutiens DeSantis, a annoncé le sulfureux polémiste Alex Jones à ses auditeurs en août dernier. Nous avons un type qui est meilleur que Trump. Bien meilleur que Trump (11). » En gardant à l’esprit la manière dont ces mêmes médias ont contribué à la montée en puissance de Trump durant la campagne de 2016, on peut imaginer qu’une même dynamique soit mise en branle autour de DeSantis.

Pour neutraliser ce dernier et différer ses ambitions présidentielles à 2028, Trump envisage de le choisir comme colistier en vue de l’élection de 2024 : « Je m’entends bien avec lui, a-t-il confié au début de l’été. Il me doit une large partie de son succès, car je l’ai soutenu et il a décollé comme une fusée (12). » Trump rappelle ainsi qu’il a « créé » DeSantis et que ce dernier lui est donc redevable. Mais le gouverneur de Floride, actuellement en campagne pour sa réélection, se laissera-t-il dicter le calendrier de sa carrière ? Il est permis d’en douter alors que ce dernier collectionne les sondages encourageants, dont certains le placent devant Trump dans les intentions de vote à la primaire républicaine à venir pour désigner le candidat républicain à la présidentielle de 2024. À nouveau, ce sont les résultats des élections de mi-mandat qui décideront de son avenir présidentiel à court ou moyen terme.


SOURCES :
1 https://www.politico.com/news/2021/01/13/mccarthy-trump-responsibility-capitol-riot-458975
2 https://www.tampabay.com/news/2021/01/28/trump-mccarthy-meet-and-agree-on-gop-goal-to-take-
house/
3 https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/01/13/how-trump-compares-with-other-recent-presidents-
in-appointing-federal-judges/
4 https://rollcall.com/2020/11/05/qanon-goes-to-washington-two-supporters-win-seats-in-congress/
5 https://www.bbc.com/news/world-us-canada-62905365
6 https://www.npr.org/2022/09/07/1121307491/poll-trump-fbi-search-run-2024
7 https://www.mediaite.com/tv/fox-news-anchors-confront-maga-senate-candidate-on-2020-claims-he-
completely-caves-the-election-was-not-stolen/
8 https://abcnews.go.com/Politics/mcconnell-host-gop-senate-candidates-walker-oz-
candidate/story?id=88890998
9 https://www.politico.com/news/2022/01/20/desantis-conservative-lifeline-trump-527494
10 https://www.politico.com/news/2022/08/17/desantis-wont-say-if-2020-was-rigged-but-hes-
campaigning-for-republicans-who-do-00052266
11 https://www.vanityfair.com/news/2022/09/2024-ron-desantis-conservative-media
12 https://thehill.com/homenews/campaign/3542473-trump-doesnt-rule-out-running-with-desantis-as-his-
vp-i-get-along-with-him/