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Doctorant en littérature américaine à l'Université de Versailles / Paris-Saclay. La Puissance arctique prophétisée, Viljhalmur Stefansson et la culture stratégique polaire des États-Unis, 1918-1951.

Malaurie Institute of Arctic Research UVSQ-Monaco

Photo libre de droits. Manu Jougla. Via Flickr.

Mise au ban pour son invasion de l’Ukraine, la Russie a vu son statut de première puissance arctique devenir une formule creuse – ses anciens partenaires délaissant sa route commerciale du Nord-Est. Il en résulte qu’un vide géopolitique régional s’est formé et qu’une concordance de plusieurs dynamiques permettent aux États-Unis de combler cet appel d’air. Souvent décrite comme une puissance arctique réticente, Washington a considérablement rattrapé son retard au cours des dernières années, au point d’accomplir aujourd’hui un pivot historique.

Terra nullius

Bien que marquée par une certaine hésitation politique, la contribution des États-Unis à l’exploration polaire a doté le pays d’une forte légitimité à intervenir dans la région voire à s’y imposer. Alors que le Royaume-Uni avait dominé l’Atlantique Nord au cours de la première moitié du XIXe siècle, la disparition de l’expédition Franklin de 1845 marque l’arrêt des ambitions arctiques britanniques. Dans un effort de réconciliation avec Londres après l’échec de l’attaque américaine sur le Canada britannique de 1812, la première expédition Grinnell de 1850 fut votée par le Congrès, non sans espérer réaliser une carte du Passage du Nord-Ouest connectant océans Atlantique et Pacifique. C’est dans ce contexte d’expéditions successives vers une région arctique perçue comme une terra nullius à conquérir que le Secrétaire d’État William Seward réussit en 1867 à convaincre ses pairs d’acheter l’Amérique russe (Alaska contemporaine). Animé par l’idée d’annexer toute l’Amérique du Nord, Seward avait gagné en crédibilité quand la guerre de Sécession avait montré la vulnérabilité de la côte ouest américaine aux raids exercés par la flotte sudiste. Pour protéger le territoire national et acquérir de nouvelles ressources, Seward proposa également au Congrès d’acheter le Groenland et l’Islande au Royaume du Danemark en 1869, sans succès. L’opinion publique ne soutenait plus la doctrine de « l’impérialisme démocratique » et le rapport commandé sur les ressources des deux îles ne fut publié par l’ingénieur Benjamin Peirce que trop tard en 1868 pour être pleinement utilisé par le Secrétaire Seward, quittant ses fonctions en mars 1869.

L’ambition de l’amiral Peary

Néanmoins, son enthousiasme perdura. Quarante ans plus tard, l’Amiral Robert Peary prétendit par télégramme avoir revendiqué le Pôle Nord au nom du Président Taft qui lui répondit, gêné, ne pas savoir quoi faire de cette offre généreuse. A nouveau, l’idée d’une acquisition du Groenland émergea en 1910, cette fois en échange des Philippines, sous la plume de l’ambassadeur au Danemark Maurice Francis Egan. Mais ce sont en fin de compte les îles Vierges, situées en face du canal de Panama, qui furent achetées en 1916. Les voir changer de main en cas de victoire allemande sur la Triple Entente était un risque que Washington refusait de prendre. Une condition fut néanmoins posée : les États-Unis devaient reconnaître la souveraineté complète du Danemark sur le Groenland et donc abandonner toute revendication basée sur les explorations d’Elisha Kent Kane, Charles Hall, Adolphus Greely, ou encore de Robert Peary. Au grand dam du Secrétaire d’État Robert Lansing, aucun compromis ne fut cherché, pas même une clause de commerce approfondi avec le Groenland. La défense des intérêts américains n’était plus en Arctique, du moins pour le moment…

L’invasion japonaise

Encore aujourd’hui, peu d’Américains ont connaissance de l’invasion de l’Alaska par les troupes japonaises au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Or la campagne de reconquête des îles aléoutiennes par les forces américaines entre le 2 juin 1942 et le 15 août 1943 n’avait rien à envier aux autres théâtres d’opération en terme de destruction de matériel militaire. Presque prises par surprise malgré les multiples alertes lancées au cours des deux décennies précédentes, les autorités américaines développèrent les défenses et infrastructures l’Alaska sur le tard. Quant à la côte Est du pays, la certitude qu’une menace ne pourrait venir que du sud vola en éclat. L’intense campagne diplomatique allemande auprès de l’Islande ainsi que la présence, certes limitée mais bien réelle, de commandos nazis au Groenland firent comprendre que le contrôle de l’Atlantique Nord était essentiel à la fois à la défense du continent américain et aux capacités d’intervention en Europe. C’est à la suite de l’occupation du Danemark par l’Allemagne en avril 1940 que l’Islande fut placée sous surveillance britannique et le Groenland sous protectorat américain. Sans les données météorologiques relevées sur ces deux îles, l’organisation du débarquement de Normandie aurait pu s’achever sur un fiasco. Entre août 1941 et mai 1945, environ 1400 navires commerciaux ont navigué depuis les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Islande jusqu’aux ports arctiques d’Arkhangelsk et de Mourmansk dans le cadre de la politique de Prêt-Bail. Ces livraisons de
matériels ont notamment été immortalisées par le film de propagande Action in the North Atlantic où l’acteur Humphrey Bogart tient le rôle principal. Encore en 1949, après avoir refusé trois ans plus tôt une offre d’achat du Groenland par Washington, le ministre des Affaires étrangères danois dut rassurer son Parlement que Copenhague n’avait pas troqué le Groenland contre l’adhésion de son pays à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

Surveiller l’URSS

Au cours de la guerre froide, l’Arctique fut moins un théâtre d’opérations que de surveillance et d’espionnage. Dans l’optique de pouvoir détecter les activités et potentiels missiles soviétiques, un archipel de bases radars – la Distant Early Warning Line – s’ouvrit d’un bout à l’autre de l’Arctique nord-américain, de l’Alaska jusqu’au Groenland à partir de 1957. Quelques années plus tôt, la base de Thulé au Groenland avait été secrètement agrandie pour constituer une plateforme d’écoute et de contre-attaque au plus près de l’Union Soviétique. Découverte le 18 juin 1951 par le géomorphologue français Jean Malaurie, la base est devenue le joyau de la couronne arctique américaine. Le 21 janvier 1968, un bombardier s’écrasa sur la banquise avoisinante, laissant sous la glace une des quatre bombes nucléaires qu’il transportait. De cette période, demeure la nécessité de surveiller la flotte et l’aviation russe empruntant le GIUK gap, soit un espace triangulaire s’étendant du Groenland au Royaume-Uni, en incluant l’Islande et les îles Féroé. Ainsi, la récente période de désintérêt pour la région polaire initiée dans les années 1980 au profit d’autres zones à l’équilibre géopolitique jugé plus critique, comme le Moyen-Orient, ne doit pas faire oublier que les États-Unis ont bel et bien été une puissance arctique. Une réalité que les départements gouvernementaux tendent désormais à rappeler.

Une puissance arctique

Jamais autant de stratégies arctiques n’ont été publiées par les agences fédérales qu’au cours de ces dernières années. En avril 2019, l’U.S. Coast Guard publia son Arctic Strategic Outlook, suivi de près par l’Arctic Strategy du Département de la Défense au mois de juin. Puis, ce fut au tour de l’U.S. Air Force de rendre public son livret en juillet 2020 en incluant les intérêts de la nouvelle Space Force pour la région. La passation de pouvoir mouvementée entre l’administration Trump et Biden ne semble pas avoir freiné le rythme des publications, bien au contraire. En janvier 2021, l’U.S. Navy publia sa vision d’un Blue Arctic, et enfin, la stratégie de l’U.S. Army publiée en mars 2021 portait sur sa couverture le titre particulièrement éloquent Regaining Arctic Dominance. En plus de décrire la région polaire comme une « arène de compétition, une ligne d’attaque en cas de conflit, une zone vitale contenant nombreuses ressources [de la] nation, et une plateforme de projection de puissance globale », le livret présentait l’assurance du service armé en de meilleures capacités de déploiement et d’opération en environnements froids et montagneux. D’ici 2035, la nouvelle structure du Regionally Aligned Readiness and Modernization Model – ou ReARMM – devrait assurer la transformation du corps armé en force prête à répondre aux situations de « compétition, de crise et de conflit ». Cette adaptation militaire au climat froid – par l’amélioration des conditions de vie du personnel, la disponibilité de matériel spécifique et l’entraînement – sera notamment portée par un nouveau commandement opérationnel deux étoiles, ainsi que deux brigades de combat affiliées. Ainsi, toutes les branches armées ont exprimé leur développement de capacités expéditionnaires et de défense territoriale. Même le Département de la Sécurité Intérieure publia en janvier 2021 sa propre Arctic Strategic Approach soulevant les questions de défense cybernétique et d’infrastructures.

Début octobre 2022, la National Arctic Strategy de la Maison Blanche établit les priorités du pays pour les dix années à venir et les réunit en quatre chapitres : la sécurité, le changement climatique et la protection de l’environnement, le développement durable, et la coopération internationale. Visant très probablement à offrir une rhétorique radicalement différente de celle de la précédente administration, le document propose en effet d’assurer stabilité et prospérité régionales sans mentionner les réserves d’hydrocarbures. La promesse de dédier plus de personnel diplomatique aux questions arctiques tranche également avec les approches précédentes favorisant l’adversité militaire. Au-delà d’un court paragraphe sur la Chine cherchant à étendre son influence dans la région, la dizaine de mentions de l’agression russe de l’Ukraine explicite le fait que tout dialogue arctique entre les gouvernements de Moscou et de Washington est impossible pour le moment. En définitive, le document s’inscrit comme une mise à jour de la précédente National Arctic Strategy de 2013 et se focalise plus sur les défis à venir que sur la proposition de mesures concrètes répondant aux besoins des populations d’Alaska, des garde-côtes ou encore des bases arctiques menacées par le changement climatique – à savoir celles de Thulé (Groenland), de Elmendorf-Richardson, de la Clear Space Force Station, de la Eielson Air Force Base, de Fort Wainwright et de Fort Greely (Alaska). Les principaux risques étant la fragilisation des fondations par la fonte des sols gelés et les feux de forêt réduisant les capacités de déploiement aérien. D’autres initiatives de long-terme affiliées au Pentagone peuvent être mentionnées, comme l’inauguration en Alaska du Ted Stevens Center for Arctic Security Studies en août 2022. Ce sixième Regional Center du Département de la Défense, entièrement dédié à la recherche polaire, a pour vocation de former des agents de la sécurité nationale, aussi bien civils que militaires, aux particularités arctiques, aux questions de gouvernance régionale ainsi qu’aux effets locaux du changement climatique. Le Département de la Défense a également établi en septembre 2022 son Arctic Strategy and Global Resilience Office pour coordonner les efforts des trois centres de commandement couvrant la région arctique (l’U.S. Northern Command; l’U.S. European Command; et l’U.S. Indo-Pacific Command). Tout comme les stratégies mentionnées plus tôt, ces deux initiatives insistent sur l’importance de la coopération internationale et appellent à l’organisation d’exercices avec les forces alliées, dont le ralliement semble être devenu une priorité pour les années à venir.

L’Arctic Diplomacy Act

Le renouveau de la diplomatie américaine s’incarne aujourd’hui dans la réalisation d’un projet de longue date, plusieurs fois rejeté au cours de la décennie précédente, et finalement réalisé par l’Arctic Diplomacy Act présenté en mai 2021. Selon les promoteurs bipartisans de la loi, les États-Unis disposent d’un avantage géographique pour maintenir la sécurité de la région, mais ont d’abord besoin de faire preuve d’un fort leadership. Ainsi, la loi prévoit la nomination d’ici la fin de l’année 2022 d’un Ambassador-at-Large for Arctic Affairs. Ce nouveau corps diplomatique sera basé à Washington mais se rendra régulièrement dans la région pour discuter entre autres de stabilité politique et de réduction des émissions carbonées.

En parallèle, le Département d’État réaffirme son influence dans l’environnement proche américain en Atlantique, notamment au Groenland. Avec son autonomie renforcée et une opinion publique soutenant majoritairement l’accès à l’indépendance sur le moyen ou long terme, la société groenlandaise se questionne régulièrement sur le modèle économique qui lui permettrait de financer son détachement du Danemark. Ainsi, les années 2010 ont été celles des rêves de mines de métaux rares et de méga-projets industriels permettant au gouvernement de Nuuk d’exister sur l’échiquier mondial. C’est dans ce contexte d’un fort besoin d’investissements dans les infrastructures que la Chine a plusieurs fois tenté de s’implanter, sans succès. Bien que séduisants, les projets industriels aux milliers d’ouvriers chinois immigrés n’ont pas vu le jour pour des raisons économiques et éthiques. Pire, les tentatives d’acquisition de structures stratégiques sont également tombées à l’eau. En 2017, la vente de l’ancienne base navale de Gronnedal (construite par les États-Unis en 1942) au General Nice Group chinois a été annulée par Copenhague; soit par peur de compromettre sa relation avec Washington, soit après avoir été intimée d’agir par cette dernière. En 2019, la China Communications Construction Company annonçait d’elle-même retirer son offre de moderniser les aéroports des capitales politique et touristique du pays, Nuuk et Ilulissat. A nouveau, le Danemark était intervenu pour empêcher une implication chinoise dans le système de transport le plus important du Groenland, où les villes ne sont reliées entre elles que par avions (et par bateaux en été). Selon un sondage de l’Université de Nuuk réalisé en 2021, les Groenlandais ne voient pas la Chine comme une menace majeure, mais préfèrent approfondir leurs relations avec l’Islande et l’Amérique du Nord. Depuis, la réouverture du Consulat américain de Nuuk en juin 2020 (fermé en 1953) a marqué une nouvelle étape dans la coopération nord-atlantique, les deux derniers consuls étant tous deux spécialistes des pays asiatiques. L’inclusion du Groenland dans la Route Polaire de la Soie chinoise a donc échoué, au profit d’une présence américaine accrue bien que toujours discrète, assurant d’abord ses intérêts défensifs.

Les prétentions chinoises

Si la diplomatie occupe une place bien plus importante que ces dernières années dans la rhétorique de Washington, il n’en reste pas moins que le portrait dressé des relations arctiques est celui d’une fracture. Désormais, deux Arctiques semblent s’observer, sinon s’intimider l’un l’autre : la Russie et son partenaire chinois soi-disant « proche-arctique » pour le premier bloc, puis tous les autres pays de la région désormais intégrés ou en voie d’intégration à l’OTAN, à savoir les États-Unis, le Canada, le Danemark, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Finlande. Point de rendez-vous annuel de diplomates, scientifiques et industriels impliqués dans la région, l’Arctic Circle Assembly ayant eu lieu en Islande à la mi-octobre 2022 a illustré cette réalité par un échange musclé entre le chef du comité militaire de l’OTAN Rob Bauer et l’ambassadeur chinois He Rulong. S’insurgeant contre l’officier hollandais ayant présenté la Russie comme « la menace directe et la plus importante à [la] sécurité », le diplomate qualifiait d’« arrogantes et de paranoïaques » les remarques tenues sur la présence renforcée de la Chine dans la région qui mettrait en péril le droit international. Plus tard lors de la conférence, et de manière plus préoccupante, l’envoyé chinois pour les Pôles Gao Feng a annoncé que « la Chine ne reconnaîtra pas un Conseil de l’Arctique sans la Russie ». Établi en 1996, ce principal organe de gouvernance de la région – s’appuyant essentiellement sur une coopération scientifiques entre les huit États arctiques, des associations de peuples autochtones, des ONG et des pays observateurs – a pour la première fois de son histoire été déserté par les sept États arctiques, laissant la Russie assurer sa présidence tournante du Conseil, seule. État observateur depuis 2013, la Chine est l’un des pays non-arctiques les plus actifs dans la recherche polaire et le financement des programmes du Conseil. Par conséquent, sa potentielle non- reconnaissance de la transition vers la présidence norvégienne du Conseil en mai 2023 pourrait acter une fracture durable de la gouvernance régionale, où un pôle russo-chinois attirerait à lui d’autres États non-arctiques déçus par le manque d’inclusivité des organes de gouvernance régionale.

Exercices militaires

Avec cette crise de légitimité à l’horizon et une alliance atlantique couvrant bientôt la moitié du cercle polaire, les regards se tournent naturellement vers les États-Unis pour maintenir ou coordonner la stabilité de la région. Déjà au cours de la dernière décennie, un effort de coopération militaire avait été remarqué avec la tenue de différents exercices. Ces entrainements au déploiement en région froide avec des nations arctiques plus expérimentées dans les opérations en milieu extrême ont pour double fonction de former les troupes américaines au combat et à l’interopérabilité dans ce contexte si exigeant, mais aussi de resserrer les liens entre alliés. Parmi eux peuvent être cités les biennaux Arctic Edge en Alaska et Ice Exercise dans l’océan polaire avec les forces canadiennes et britanniques, le Noble Defender organisé annuellement par le Canada, le multinational Northern Griffin encadré par les Forces d’Opérations Spéciales finlandaises, ou encore l’annuel Cold Response de l’OTAN réunissant jusqu’à 30 000 soldats venus de 27 nations. Mais l’Alliance atlantique reste structurellement limitée dans son déploiement arctique par une limite interne : l’appréhension historique du Canada à voir sa souveraineté compromise par des troupes étrangères, mêmes alliées, notamment aux alentours du Passage du Nord-Ouest qu’Ottawa considère comme ses eaux territoriales, tandis que Washington y voit un détroit international. Malgré le fait que le Secrétariat général de l’OTAN ait été occupé par un officier danois puis norvégien depuis 2009, l’Arctique est resté le point aveugle de l’Alliance, en particulier dans ses publications stratégiques et ses sommets annuels. Les exercices en pays nordiques ont donc pour effet de pallier ce retard accumulé dans une région considérée plus stable que l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est ou même l’océan Pacifique. Pour les États-Unis, ces déploiements répondent à la fois à la réouverture d’anciennes bases soviétiques dans l’Arctique russe, à l’annexion de la Crimée de mars 2014, mais aussi à la coopération militaire russo-chinoise aperçue près du détroit de Béring.

La Russie ayant toujours été prudente dans ses invitations à coopérer militairement avec la Chine dans une région riche en ressources, et la Chine préférant garder la coopération arctique la plus ouverte possible afin d’y maximiser ses intérêts économiques, la relation sino-russe semble également avoir atteint un tournant. Déjà en août 2021, les garde-côtes américains s’inquiétaient des opérations de surveillance menées par des navires militaires chinois au large des îles aléoutiennes. Au cours de la première semaine de septembre 2022, l’exercice Vostok 2022 avait réuni le président russe, ses généraux ainsi que 31 organisations et États observateurs venus assister à cet exercice doté pour la première fois d’un volet maritime. Pour cet entraînement en Sibérie orientale, ont été mobilisés plus de 50 000 soldats venus de 13 pays, dont l’Inde et la Chine. Alors que deux sous-marins russes ont tiré leurs missiles depuis la depuis la mer des Tchouktches, au nord du détroit de Béring, dans le cadre de l’exercice annuel Umka le 16 septembre, les garde-côtes américains ont rencontré trois jours plus tard une formation de 7 navires de guerres russes et chinois à proximité des îles aléoutiennes. Par conséquent, alors que l’économie russe se tourne vers l’Asie, il devient probable qu’une coopération renforcée entre Moscou et Pékin soit annoncée prochainement, doublée d’un appel à la participation de partenaires internationaux. La Russie ne semble donc pas renoncer au développement économique de son territoire arctique et se prépare elle aussi à une logique de bloc avec ses partenaires.

Vers 2031

La pleine intégration de l’Arctique dans la politique étrangère des États-Unis est désormais rendue publique. Encore le 2 octobre 2022, le brise-glace américain Healy a atteint le pôle Nord pour une expédition scientifique dont l’enjeu implicite était d’empêcher la Russie de faire de la région son monopole symbolique. Bien entendu, ce retour stratégique prendra du temps à se concrétiser dans son ensemble. Perdus de longue date, certains savoir-faire auront besoin de temps et de financements pour être un jour retrouvés, à l’instar de la construction de nouveaux brise-glaces dont le premier ne devrait être livré qu’en 2026. Récemment réélue, la sénatrice d’Alaska Lisa Murkowski a de nouveau affirmé à l’Arctic Circle Assembly 2022 que seul un investissement massif dans les infrastructures permettra de résoudre les nombreuses crises sociales affligeant l’Arctique nord-américain. Pour autant – à condition que le travail du Conseil de l’Arctique reprenne son rythme habituel une fois la présidence russe achevée en mai 2023 – la présidence américaine du Conseil de 2031 s’annonce bien plus marquante que la précédente de 2015. Au vu des progrès accomplis, c’est avec une légitimité complète que Washington pourra revendiquer sa puissance polaire et renouer avec son histoire.