Théo Laubry
Journaliste freelance, spécialiste des États-Unis.
(NDLR: article publié pour la première fois sur Medium le 14 sept 2022.)
D’un côté Joe Biden et les démocrates reprennent des couleurs et enchaînent les victoires politiques après de longs mois de disette, de l’autre Donald Trump s’enlise dans les scandales et poursuit son entreprise de destruction du Parti Républicain et de remise en cause de la démocratie.
Tentative de renversement du résultat des élections et de coup d’état, vol de documents classifiés, incitation à la violence: l’ancien président américain accumule les problèmes et devient peu à peu radioactif, même pour certaines personnalités politiques qui ont bénéficié précédemment de son soutien. En s’affranchissant des lois et des principes fondateurs de la démocratie américaine, en misant sur la désinformation et le complotisme, le milliardaire a accru son emprise sur sa famille politique tout en l’entraînant peu à peu dans une voie sans issue, ce que n’a pas manqué de pointer Joe Biden récemment dans un discours à Philadelphie qui fera date.
Alors que les élections de mi-mandat approchent, la politique américaine est à un nouveau tournant.
Une radicalisation constante
Depuis son entrée dans l’arène politique en 2015, Donald Trump a fait voler en éclat les codes et s’est affranchi de toutes les limites. Ses sorties outrancières et les premiers signes d’autoritarisme n’avaient pas manqué d’alerter les analystes politiques lors de sa première campagne présidentielle. Mais sa victoire en 2016 face à Hillary Clinton, à la régulière, ne permettait pas de deviner ses réelles intentions démocratiques. Il était encore possible de se demander si tout cela n’était pas qu’un simple jeu de rôle — dangereux — visant à mobiliser ses supporters et occuper l’espace médiatique. Un mandat plus tard, le doute a laissé place à la certitude. Son refus du résultat des urnes en 2020 et son travail acharné pour le renverser ont balayé les hypothèses les plus optimistes. Surtout, ses incitations à s’en prendre aux élus et aux plus hautes institutions du pays, entraînant l’attaque contre le Capitole le 6 janvier 2021, ont mis en lumière le danger que lui et son mouvement représentaient pour les États-Unis.
Son départ de la Maison Blanche n’a pas suffit à restreindre ou contenir cette menace. Echappant de justesse à la destitution grâce à la lâcheté d’une partie de l’establishment républicain, Donald Trump a alors compris qu’il n’aurait aucun mal à concourir à la prochaine échéance électorale malgré ses déboires. Ces derniers ne se sont d’ailleurs pas bornés à sa présidence puisqu’il continue de faire la Une des journaux pour ses affaires, un an et demi après avoir refermé la porte du Bureau Oval. Le dernier épisode en date — la détention illégale de dossiers classifiés dans sa résidence de Mar a Lago ayant contraint le FBI à perquisitionner son domicile — a une fois de plus été l’occasion de constater le risque qu’il fait peser sur la première puissance mondiale. Cette perquisition a déchaîné le principal intéressé sur son compte Truth Social qui a « retruthé » par dizaines les publications de comptes complotistes affiliés à la mouvance sectaire Qanon et a publié plusieurs posts menaçants frôlant parfois même avec l’incitation à la violence, obligeant les agences fédérales à renforcer la sécurité de leurs agents et bâtiments. Il n’aura d’ailleurs fallu que quelques jours pour qu’un homme armé pénètre dans le siège régional du FBI en Ohio, à Cincinnati.
L’ancien président a fait du terrorisme stochastique — un concept désignant l’utilisation de voies de communication de masse afin d’inciter de manière indirecte et aléatoire des acteurs à commettre des actes violents — un outil politique comme un autre.
Une rupture historique
Du vingtième siècle au début du vingt-et-unième, l’Amérique a fait face à plusieurs menaces : le nazisme lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’URSS lors de la guerre froide ou encore le terrorisme islamiste après les attentats du 11 Septembre 2001. Les différents présidents ont rassemblé les Américains sur chacune de ces périodes en désignant l’ennemi de la Nation : un adversaire extérieur à combattre. Aujourd’hui, la donne a changé. En meeting à Philadelphie, Joe Biden n’a pas mâché ses mots :
« Trop de choses qui arrivent dans notre pays actuellement ne sont pas normales. Donald Trump et les républicains MAGA représentent un extrémisme qui menace le fondement de notre République. »
En prononçant cela, le président démocrate a acté que le danger principal trouve ses racines à l’intérieur des frontières américaines. Une formule qui n’a pas manqué de provoquer la colère des élus trumpistes les plus radicaux, certains allant même jusqu’à évoquer le satanisme ou Hitler.
Si l’approche des élections de mi-mandat peut expliquer en partie cette rhétorique, le président américain acte surtout l’impossibilité d’ignorer le trumpisme. Ce que rappelle Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire spécialiste des États-Unis, sur son compte Twitter:
« La démocratie libérale n’est plus une valeur partagée par l’ensemble des citoyens américains de façon certaine depuis l’insurrection du Capitole par les partisans de Trump (…) Cette évolution a amené une rupture personnelle chez Biden, lui le chef d’État consensuel élu sur la promesse d’une réconciliation, d’une réunion que cet événement et sa légitimation par le camp Trump rendent impossible. »
Le combat politique classique a laissé place à un combat pour la sauvegarde du modèle démocratique américain et résumer cela à du simple marketing électoral serait une erreur. Rappelons qu’un groupe d’historiens s’est rendu à la Maison Blanche en août dernier pour alerter Joe Biden à ce sujet et que les services de renseignements américains estiment que les mouvements d’extrême droite constituent désormais la principale menace de sécurité aux États-Unis, devant le terrorisme islamiste